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Écriture collective – été 2019

La lecture de « Prospective 2040 »1, de « La mythologie de la CAME : comment s’en désintoxiquer »2 et nos pratiques nous ont permis de repérer l’apparition de la métropole comme point de concentration extrême du faire, de l’excellence, de l’énergie, de l’argent, de l’innovation… Mais quid de ce qui n’est pas métropole et qu’on appelle le rural, ou la France périphérique ? Faut-il se résigner à ce que ces espaces soient les perdants de la restructuration de notre société ? Qu’ils soient pour cela bénéficiaires des subsides des métropoles en « compensation » de cette domination ou encore pour participer au « service rendu » (loisirs, air pur, alimentation, traitement des déchets, productions d’énergies renouvelables…) ?

1 Territoires 2040, revue du même nom , en particulier le n°4
2 Olivier Bouba-Olga, Michel Grossetti. La mythologie CAME (Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence) : comment s’en désintoxiquer ? 2018. hal-01724699v2

Chacun semble intégrer ces récits : une métropole qui irriguerait de ses richesses et dédommagerait une campagne vidée de ses écoles, commerces. Un monde agricole qui aurait un « devoir d’intendance » pour gérer des terres qui nourrissent et dont on ne questionnerait pas la qualité de vie. 

On ne peut se satisfaire de cette vision simplificatrice qui voudrait opposer l’urbain au rural, la ville à la campagne. D’abord parce que ces frontières n’existent pas. Ensuite parce qu’elle induit la mise en concurrence des territoires entre eux (intercommunalités, métropoles entre elles, en France et entre pays…), avec des indicateurs non questionnés, chacun essayant de trouver sa place en se créant une identité, une image de marque.
La finalité non exprimée de cette vision simplificatrice est la croissance financière.

La contradiction est alors parfois très forte entre des politiques affichées de réduction des inégalités sociales (égalité des territoires) et la finalité intrinsèque de cette vision entièrement incorporée (c’est à dire l’enrichissement financiers de certains et son effet de ruissellement).
Une concurrence au bénéfice de qui ? Dans cette histoire, n’y aurait-il pas surtout des perdants, ceux qui ne donnent plus leur avis ?

La métropolisation est vue comme une fin en soi puisqu’elle permettrait l’entrée dans la compétition mondialisée de l’emploi, de la recherche du profit et de la financiarisation de l’économie. De la même manière, à chaque échelle, l’idée même d’un centre qui ruissèlera sur les alentours est reproduite : ici la ville moyenne, ici le bourg centre, objet de toutes les attentions de « revitalisation ». L’ensemble des politiques publiques est pensé de manière à alimenter ces cœurs, ces métropoles pour attirer des populations, toujours plus de monde, toujours plus d’emploi, pour en faire les lieux incontournables de la compétition mondiale.
L’innovation y est attendue et soutenue pour permettre l’excellence (y entendre ici l’avance sur d’autres) en ignorant l’effet Matthieu décrit en 68 par le sociologue américain Merton ; qui explique que lorsque l’on cherche à favoriser l’innovation dans une visée prospective on alloue en réalité des moyens supplémentaires aux acteurs qui se sont distingués hier.

Des politiques compensatrices sont alors pensées et organisées de manière à indemniser les grands perdants de ce dogme sous l’argument d’égalité des territoires : les « zones de revitalisation rurale » mais aussi les « quartiers prioritaires de la ville ».

Tenter de définir un rural par opposition à l’urbain c’est consacrer la distinction entre espace de production et espace de consommation, en figeant du même coup les modes de vie.

On accorde par exemple à l’habitant des métropoles le privilège de la mobilité et l’attente de la flexibilité : il va de soi qu’il occupera plusieurs emplois au cour de sa vie, qu’il se posera dans telle ou telle grande ville pour y étudier ou y travailler, qu’il fera des séjours ludiques en campagne voir même qu’il s’y établira, la retraite venue. A l’habitant du rural on souhaite démontrer qu’il peut aspirer à y vivre pour toujours, car le devoir d’intendance exige la présence de personnel, de paysans, de maitre d’hôtel . Pourrions- nous plutôt penser les transitions au fil des parcours de vie qui se déploient sur tout l’espace, en somme, ouvrir le moule territorial et accompagner les désirs d’agir (pluralité des modes d’habiter, des métiers, des mobilités) ?

Il n’y a pas de lieu qui soit par essence détenteur du patrimoine, de la nature et de l’authenticité. Le morcellement fonctionnel sous-entendu par la métropolisation effrite l’exercice de la parole citoyenne en limitant les actions légitimes pour chaque territoire et leurs habitants. Pourrions-nous plutôt penser un territoire comme commun où tous ceux qui en tirent des fruits (comme aliments, comme lieu de vie, comme site de travail, comme habitant futur) sont détenteurs d’une parole reconnue ?

Et si nous nous autorisions à dépasser la vision binaire et simplificatrice rural/urbain ?

Et si nous troquions le simplisme des mythes pour un regard exigeant ?

Si nous tentions de nous extraire de ce modèle, de ce mythe, que repérerions-nous comme problématiques transversales à ces espaces ?

Nous proposons de nous affranchir de la notion étroite de « territoires » et de lui substituer le vocable de « milieux » : milieux où l’on vit, agit, partage, met en commun. Loin de l’image de territoires labelisés par des « atouts » qui ne sont que prétextes à des comparaisons et des compétitions qui ne disent pas leur nom, nous prônons des milieux dans lesquels la coopération et la solidarité sont au cœur de l’action, des actions. Nous voulons des milieux qui interagissent entre eux, qui n’ont pas vocation à se ressembler mais à construire de manière continue des occasions de s’inventer et de se réinventer, en lien avec les autres, mais sans rapport de domination et de subordination. Nous souhaitons prendre le contre-pied de ces territoires autoproclamés qui en s’auto-distinguant (labels, certifications, classifications, etc.) bâtissent leur propre propension à sélectionner qui peut y vivre et qui ne peut pas le faire. Aux phénomènes de gentrification en cours – que ce soit en ville mais aussi dans les campagnes – nous répondons dynamiques collectives et concertées, sans que les statuts et fonctions des personnes ne déterminent « pour la vie » les rôles et places qu’elles peuvent et veulent occuper dans la construction et la gestion des communs.

La grande diversité des parcours de vie nous encourage à imaginer des milieux ouverts dans lesquels la coopération a plus de sens que la compétition. Il y a d’autres choix que la concurrence entre territoires, entre individus. Nous préférons viser à l’émancipation de chacun dans la perspective d’un monde plus juste. Pour cela, l’éducation populaire nous engage à élargir le champ des possibles. Pourrait-on imaginer des lieux qui n’adoptent pas tous les mêmes modes de gouvernance ? Accepter ces diversités c’est accepter de laisser germer de nouvelles manières de se concerter, de décider, d’agir et dire la valeur de nos actions. Cela passe notamment par un meilleur partage de l’information.

La qualité d’un territoire peut être évaluée par d’autres critères de réussite que le nombre d’habitant et d’emplois. Nous pensons que cette qualité se joue par la capacité d’un milieu à impulser la rencontre, à accueillir la participation, à laisser de la place au changement et à l’expérimentation dans leurs diversités. Nous proposons alors de valoriser ces qualités plutôt que de les comparer.

Avoir les moyens de faire, c’est aussi pour chacun pouvoir se déplacer (mobilité), pouvoir d’abord envisager ce déplacement (au sens culturel, la motilité*). Cela passe par un quadrillage multimodal de l’espace, par des modes de mobilité accessibles. Cela signifie de l’investissement public dans une structure qui ne soit pas uniquement articulée autour de et pour Paris (ou une métropole locale) mais offre plus d’une manière de joindre des lieux entre eux. Pour que le fruit soit bon, nul besoin de se concentrer sur le noyau (la métropole qui ruissèle) mais plutôt sur l’environnement de l’arbre (un tissu diffus et interdépendant de conditions favorables).

* Vincent Kaufmann, (2008), Les paradoxes de la mobilité, bouger, s’enraciner

Pour le CREFAD Auvergne s’extraire de ce modèle c’est inciter chacun à observer et envisager la diversité des possibles par de la méthode, de l’accompagnement, de l’animation. Soutenir le diffus, la richesse de la diversité face à la norme écrasante et uniformisante. Soutenir les initiatives, les prises de positions des personnes sur les territoires qui les concernent, dans lesquelles elles habitent ou dans lesquelles elles se sentent légitimes pour agir. C’est réaffirmer que le maillage des initiatives porte sur tout l’espace sans égard à sa densité de population ou le vert de ses paysages mais en étant fidèle à la volonté et aux désirs des personnes dans leurs projets.

Pour favoriser l’imaginaire, la projection dans des possibles non normés, nous souhaitons favoriser le développement de la motilité : accessibilité des déplacements, acquisition de compétences par les voyages et l’appropriation de l‘ensemble.

Nous proposons d’ouvrir partout et aussi souvent que possible des espaces d’expression pour que les habitants-acteurs de ces espaces donnent leur avis et mettent en mouvement leur désir d’agir, en lien avec les élus (diminuant ainsi l’écart entre des décideurs qui auraient les moyens et des rêveurs sans le sou).

Pour le CREFAD Auvergne, c’est encore relever dans les discours et les actes quand les mythes sont à l’œuvre et induisent concurrence, compétition, et responsabilités individuelles pour se mettre ensemble au travail et mettre à jour les complémentarités, la coopération, l’interdépendance et les responsabilités collectives. C’est inciter à de l’analyse située pour chacun (habitants, élus, acteurs autres, porteurs de projet…) plutôt qu’à de la reproduction de modèles de pensée afin de construire des propositions singulières centrées sur du mieux vivre pour tous.

Écriture collective – Crefad – été 2019

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